Il est toujours utile de répéter et de relire les fondamentaux de notre métier. Nous sommes tous d'accord que notre profession qui utilise l'acupuncture, se trouve entre deux eaux, ni totalement enlisée dans le fond vaseux de l'ignorance, ni totalement en superficie, s'écoulant librement au gré de notre volonté. Nous avons donc un problème de flottaison qui peut simplement s'expliquer par les définitions que nous donnons à notre art.
En effet, le problème majeur, est le mot acupuncture employé à "va comme je te pousse" selon les circonstances.
Il se trouve que nous pouvons définir 3 champs d'application de ce mot qui malheureusement jette une incompréhension au mieux et une injustice au pire.
Voyons-les dans un ordre loin d'être arbitraire puisque c'est celui le plus "classique":
1) l'acupuncture médicale
Elle est donc par définition employée par les médecins. Que ceux-là soient de bons ou mauvais acupuncteurs n'est pas la discussion du moment. Il faut comprendre que leur façon de pratiquer est basée sur la médecine qu'ils ont apprise pendant dix ans. Quand bien même ils se référeraient aux textes classiques, leur approche resterait et reste une approche médicale occidentale. Il serait trop long de développer ici tous les arguments. C'est un fait qui ne peut être passé sous silence et personnellement je ne le juge pas, il faut aussi qu'il existe ce genre d'acupuncture. Ce que je discute, c'est la volonté de certains de vouloir faire accroire que toute autre acupuncture est un exercice illégal! Oui si nous pratiquons comme le médecin. Non si nous faisons différemment.
2) la Médecine Chinoise et donc sa formation sur 5 plans:
a) le Qi cong
b) la pharmacopée chinoise
c) la diététique
d) le massage
e) l'acupuncture
Il y a donc une deuxième façon de pratiquer l'acupuncture. Celle-ci est plus complexe à définir parce que son histoire est quelque peu mouvementée. Pour de plus amples informations vous pourrez consulter avec pertinence le livre de P. Unschuld https://books.google.fr/books?id=MCXqmHj-fHIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Pour résumer sans trahir, la pharmacopée reste le pilier central et majeur de la MTC qui fut préservée par Mao alors qu'il éradiquait toute autre façon de se soigner. L'acupuncture n'existait plus. Ce n'est qu'en 1953 que des médecins chinois, qui pratiquaient et continuent de le faire encore aujourd'hui comme le font les médecins occidentaux, décidèrent de retrouver un peu de leur histoire ancienne en faisant ressurgir l'acupuncture "ésotérique" car ils savaient qu'elle était bien implantée dans d'autres pays dont la France! Mais il fallait rester sérieux et donc on ne prit que ce qui ne pourrait prêter à sourire de leur point de vue. Cette pratique là est aujourd'hui référencée par un médecin qui a écrit le diagnostic en médecine chinoise, de B. Auteroche. Un mal plus qu'un bien car cela à permis une confusion des genres. En effet, si ce livre était resté pour les médecins (qui est leur livre de base), nous n'aurions pas eu autant de difficultés à nous définir. Malheureusement des groupes, des syndicats, des fédérations de non-médecins se sont empressés de baser leur examen sur cet ouvrage et cela a de facto semé le trouble.
Il n'en demeure pas moins que la MTC utilise l'acupuncture mais en apport à la pharmacopée. Le livre de référence étant surtout le Shang Han Lun il est clair que ce sont d'abord des plantes puis quelques formules d'acupuncture. Le langage n'est pas le même puisque dans la culture chinoise, l'examen repose sur les quatre temps traditionnel.
3) L'acupuncture non médicale qui forme uniquement à cet art. Quatre années d'acupuncture pour y découvrir une pensée, une philosophie et une approche incomparable avec les autres pratiques. Si les points, les trajets, l'approche sont les mêmes, c'est la connaissance des lois sous-tendues, l'applications des règles sur la manipulation des aiguilles, la prise des pouls incontournable, alors que la plupart du temps celle-ci est enseignée comme une pratique originale et exotique mais non pour une utilisation précise et thérapeutique, la connaissance des lois célestes et terrestres car la finalité dans cette science n'est pas de soulager des symptômes mais bien d'aligner l'homme avec son environnement climatique et émotionnel, cause première de la maladie qu'il développe. Ainsi une consultation en acupuncture traditionnelle ne s'occupe pas de la maladie car celle-ci a été diagnostiquée par un médecin mais recherche la dysharmonie intérieure que le patient entretient avec son milieu extérieur.
Voici maintenant un cas copié sur le site sinomedecine.com:
Maladie cardio-pulmonaire – 肺心病 (Zhōu Liánsān 周连三) Asthme, Fúlíng sì nì tāng 茯苓四逆汤, Toux, Zhōu Liánsān 周连三
宁 Nìng…, femme, 60 ans. Première consultation le 15 décembre 1968 La patiente présente de l’asthme et de la toux depuis déjà 20 ans, la condition s’aggrave l’hiver et s’améliore l’été, les crises apparaissent au contact du froid. Le diagnostic est bronchectasie, emphysème et tuberculose pulmonaire ; elle a été traitée avec des produits antituberculeux et anti infectieux, avec pour résultat une alternance de phases d’amélioration et d’aggravation sans qu’il y ait eu guérison. Ces deux dernières années, la situation s’est compliquée de palpitations, de dyspnée et d’œdèmes, et en phase critique de membres glacés et cyanosés, de dysurie et de pulsations cardiaques à 120 par minutes. Le diagnostic qui a été posé est celui d’une maladie cardiaque d’origine pulmonaire ; l’administration de tonicardiaques, de diurétiques et de produits anti-infectieux est restée sans efficacité.
Cette première partie est très médicale "occidentale"
Cette deuxième partie est à séparer en deux. Il y a une approche très claire de la pensée MTC avec la prescription ad hoc. Mais en italique il y a la base de l'acupuncture traditionnelle qui est totalement passée sous silence. Voyons plus en détail. Pour cela je reprendrai uniquement ce qui est en italique.
L’administration de nombreuses doses de médicaments chinois est restée sans effet, et au contraire la situation s’est aggravée. Lors de la consultation les symptômes sont : nouvelle crise de toux et dyspnée, oppression de poitrine et respiration précipitée, aggravation de la dyspnée qui est rapide et haletante, teint pâle, œdème généralisé, toux et dyspnée obligeant à s’allonger, oppression de poitrine et palpitations, membres glacés, transpiration froide, agitation continue, mictions claires et abondantes, selles semi-liquides, cyanose, toux avec crachats contenant du sang. Langue pâle, enduit blanc, pouls profond fin et rapide, rythme cardiaque à 124 pulsations par minute. Le tableau clinique correspond à une insuffisance du yang veritable ; pour traiter il convient de faire revenir le yang et de sauver du contresens en se basant sur 茯苓四逆汤 Fúlíng sì nì tāng modifiée. 茯苓 fúlíng 30g, 炮附子 páofùzǐ 30g, 干姜 gānjiāng 30g, 炙甘草 zhìgāncǎo 15g, 桂枝 guìzhī 15g, 高丽参 gāolíshēn 12g. En décoction dense, à prendre à intervalles courts en petite quantité. Visite de contrôle : après prise d’une dose de la formule, il y a eu arrêt de la transpiration et retour du yang, les membres se sont réchauffés, la toux et la dyspnée ont diminué, l’agitation s’est calmée et le pouls était à 96 pulsations par minutes. La formule précédente à été reconduite pour 15 doses, à la suite desquelles toutes les manifestations cliniques ont diminué. Après une période de convalescence, la patiente était guérie et a pu reprendre une petite activité physique. Commentaires En ce qui concerne le traitement des 3 maladies que sont la maladie coronarienne, le rhumatisme cardiaque et la maladie cardio-pulmonaire, Maître 周 Zhōu considère que toutes répondent à une idée de « plénitude qui ne peut accepter d’être attaquée et déficience qui ne peut accepter d’être tonifiée 实不受攻,虚不受补 » et insiste sur le fait que » lorsqu’il y a du yang c’est la vie, lorsqu’il n’y a pas de yang c’est la mort 有阳则生,无阳则死 ». On dit que : à l’étape avancée des 3 maladies cardiaques, le mécanisme pathogénique commun est pour la racine l’insuffisance du yang du cœur, du poumon, de la rate et du rein, et, l’affaiblissement du feu de mingmen, et pour les branches l’abondance de perversités ; l’ensemble conduit à une maladie dont la racine est la déficience et les branches une plénitude. En réchauffant le yang et chassant le pervers la prescription peut arriver à ses fins. « . Concernant les maladies coronariennes, la méthode visant à dégager le yang et transformer le trouble est couramment utilisée ; on utilisera alors souvent 瓜蒌薤白半夏汤 Guālóu xiè bái bànxià tāng augmentée. Pour les maladies cardiaques rhumatismales on utilise davantages les méthodes consistant à réchauffer le yang et transformer les mucosités fluides, tonifier l’insuffisance et disperser le froid ; ce qui sera alors souvent employé c’est 木防己汤 Mù fáng jǐ tāng modifiée. En cas de maladie cardio-pulmonaire, il convient d’utiliser des méthodes visant à diffuser le haut et assurer le transport du centre, conduire l’eau à circuler vers le bas et dissiper en séparant par l’avant et l’arrière (selles et urines) ; on utilise alors souvent 己椒苈黄丸 Jǐ jiāo lì huáng wán. De plus il sera couramment ajouté aux 3 formules 附子 fùzǐ pour réchauffer les reins et assister le yang. S’il apparaît membres glacés, transpiration profuse s’écoulant en gouttes, teint blanc et lèvres pâles, respiration ténue, voix basse et faible, langue pâle et enduit blanc, pouls imperceptible sur le point de disparaître, tous symptômes d’une situation grave, il est alors nécessaire de faire revenir le yang et sauver de l’inversion afin de faire revenir promptement à la vie. Maître 周 Zhōu utilise alors souvent 茯苓 fúlíng 30g, 附子 fùzǐ 15g,干姜 gānjiāng 12g,党参 dǎngshēn 15g,炙甘草 zhìgāncǎo 12g,桂枝 guìzhī 30g, prescription qui constitue une voie conventionnelle. 桂枝 guìzhī est un produit important pour dégager le yang du cœur, 附子 fùzǐ est le produit principal pour réchauffer le yang du rein, utilisés ensemble – l’un réchauffant, l’autre activant – le résultat est chaque fois au rendez-vous. En cas de palpitations on augmente les dosages de 桂枝 guìzhī, 茯苓 fúlíng et 炙甘草 zhìgāncǎo, En cas de pouls lent on rajoute 麻黄 máhuáng et 细辛 xìxīn. Si le pouls est fin et rapide on augmente les dosages de 参 shēn et 附 fù et on rajoute 五味子 wǔwèizǐ et 麦冬 màidōng. Si le pouls est noué ou intermittent on augmente le dosage de 炙甘草 zhìgāncǎo. Traduction Matthias Haby © copyright 2014 – Institut Chuzhen de médecine chinoise – Matthias Haby
nouvelle crise de toux et dyspnée, oppression de poitrine et respiration précipitée, aggravation de la dyspnée qui est rapide et haletante, teint pâle, œdème généralisé, toux et dyspnée obligeant à s’allonger, oppression de poitrine et palpitations, membres glacés, transpiration froide, agitation continue, mictions claires et abondantes, selles semi-liquides, cyanose, toux avec crachats contenant du sang. Langue pâle, enduit blanc, pouls profond fin et rapide, rythme cardiaque à 124 pulsations par minute.
Ce qui est décrit ici est la pathologie de plein froid du poumon qui ensuite s'est mutée en cycle ko inversé sur le Feu (cœur). Le pouls profond signe une maladie des tsang. Le pouls fin une faiblesse du Yin !!
Ce qui n'est pas pris en considération c'est que son asthme a commencé lorsqu'elle avait quarante ans. Elle était donc dans le 6ème cycle de sa vie ( de 35 à 42 ans) soit une problématique sur l'Eau. N'ayant pas d'autres données sur sa vie nous sommes obligés de nous contenter de cela.
Le traitement est donc par acupuncture de chasser le xié froid, renforcer le correct dans le Métal et particulièrement par ses intestins qui sont le point commun aux Poumons ( avers/revers) aux reins (midi/minuit) au cœur (équilibre sang/E). Il faudra chauffer avec les moxas. Puis il est important de travailler sur le renforcement de Ming Men en travaillant aussi sur un Gui qui est en place depuis ses quarante ans.
Comme vous pouvez le constater, trois approches différentes. Elles ne s'opposent pas, elles ont toutes le mérite de prendre en charge le patient à différents niveaux. Elles ont toutes le droit d'être reconnues comme de vraies thérapeutiques améliorant la qualité de vie de nos citoyens. Nous devrions nous unir en recherchant ce qui nous rassemble plutôt que de nous combattre en recherchant ce qui nous différencie.
Ce qui nous différencie, c'est notre approche
Ce qui nous rassemble, c'est le désir de soulager et de guérir.
Allez, Bon Vent!
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